"Le salut en judo : un médium ritualisé de communication "
Bonjour à tous,
Voici une conclusion issue de l’article:
« Le salut en judo : un médium ritualisé de communication »
Corps et culture, Numéro 4 (1999) Corps, Sport et Rites
de Gilles Bui-Xuân et Sébastien Ruffié.
Pour ceux qui souhaitent aller plus loin et lire la totalité du travail énorme effectué, rendez vous dans la rubrique "fichiers divers" (sous la rubrique "autour du Judo").
Bonne lecture.
"Le salut en judo : un médium ritualisé de communication "
Conclusion : un sens particulièrement partagé
Le judo a réussi à régler la violence originelle de l’homme en établissant un glissement progressif… de la parole au geste, du célèbre de morituri te salutant à une simple inclinaison du buste. Ce geste rituel contient tout le judo, que son fondateur Jigoro Kano résumait en une devise : Jita kyoei, autrement dit « entraide et prospérité mutuelle ! »
Ainsi l’inclinaison du salut exprime l’inclination à agir ensemble pour s’élever communément. Le rapport au divin qui aurait pu être révélé dans une croyance ordalique, lors d’une épreuve, n’a pu être établi. Le salut n’est donc ni figure magique, ni incantation, qui aurait pour fonction de conjurer son propre sort, individuellement, mais plutôt inscription dans une véritable éthique d’une humanité qui progresse. Ce qui ne signifie pas qu’il puisse se dispenser de sacré. Au contraire, sa propension à être lui-même sacralisé, il le doit à la tradition judoïstique qui, en établissant son rituel comme tel, l’a fondé en respectabilité. Le salut inspire le respect parce qu’il incite au respect. Il contribue ainsi à l’incorporation d’un ordre moral et social, comme élément constitutif primordial de cet ordre : le judo. Les professeurs les plus expérimentés l’ont bien compris, n’acceptant aucune concession sur le salut, que les compétiteurs ou certains professeurs novices auraient tendance à négliger.
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La question a été posée de savoir si le salut pouvait avoir une fonction cathartique, en réaffirmant ce qu’il est difficile d’admettre : le combat peut conduire à la mort et il faut accepter son sort9 Mais il est apparu que contrairement à celui des gladiateurs, le salut en judo n’est pas asymétrique. Il est code partagé, qui exprime clairement que les règles de conduite, le code moral, sont également partagés. Il est abrégé d’une négociation, médium d’une communication établie à l’avance. C’est alors que la prospérité peut devenir mutuelle, et le salut symbole, en réprimant l’individuel pour toucher l’universel.
Mais ce sens partagé et la situation de communication sont étroitement liés. Le salut n’a de valeur que dans certains contextes, qu’il éclaire en retour, voire qu’il provoque. Ainsi le salut d’invitation à faire un randori (c’est-à-dire un combat d’entraînement) ensemble ne saurait être assimilé à l’inclinaison d’un prétendant invitant une Catherinette à faire un tour de piste. L’un cherche à séduire ou à « conquérir » quand l’autre cherche la voie d’un progrès commun.
Mais avant d’en arriver là le chemin est-il long et difficile ? Ou au contraire le rituel est-il aussi simple que limité, tant dans sa gestuelle que dans sa signification, qu’il n’exigerait pas une complexification progressive et expérientielle ? Il est clairement apparu que le temps en influençait le sens. C’est que le rituel permet de vivre l’instant à l’unisson, chacun se chargeant de lui donner un sens particulier, et que le salut en judo représente donc bien ce médium de communication élémentaire qui permet d’établir la consonance socio-conative sans laquelle l’activité elle-même serait impossible.